Lorsqu'un enfant victime de violences sexuelles engage un parcours judiciaire, il traverse plusieurs étapes complexes qui peuvent s'étaler sur plusieurs années. Ce parcours implique à la fois la justice pénale (pour punir l'agresseur) et la justice civile (pour protéger l'enfant). Voici un guide détaillé des étapes, des acteurs et des délais moyens.
1. Le dépôt de plainte : premier acte officiel
Qui peut déposer plainte ?
- Le représentant légal (parent, tuteur) peut déposer plainte au nom de l'enfant mineur
- L'enfant lui-même peut déposer plainte, même sans l'accord des parents (notamment si un parent est l'agresseur)
- Les professionnels (enseignants, médecins, travailleurs sociaux) ont l'obligation de signaler au Procureur de la République
Où déposer plainte ?
Au commissariat ou à la gendarmerie
Les forces de l'ordre ne peuvent pas refuser de prendre une plainte. Si c'est le cas, demandez un récépissé de refus ou contactez le Procureur directement.
Directement au Procureur
Par courrier adressé au Procureur de la République du tribunal judiciaire compétent (lieu des faits ou domicile de la victime).
En ligne
Depuis 2023, il est possible de déposer une pré-plainte en ligne pour certaines infractions, puis de la finaliser en se rendant dans un commissariat.
⚠️ Point important : l'audition de l'enfant
L'audition de l'enfant doit être réalisée dans des conditions adaptées :
- Par des enquêteurs spécialement formés
- Dans une salle d'audition aménagée (Mélanie, UAPED)
- Avec enregistrement vidéo pour éviter de multiples auditions traumatisantes
- En présence d'un administrateur ad hoc si conflit d'intérêt avec les représentants légaux
2. L'enquête pénale
Durée moyenne : 6 à 18 mois
Une fois la plainte déposée, le Procureur de la République décide de la suite :
La majorité des plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite (preuves insuffisantes, prescription, désistement)
Seulement 30% des plaintes donnent lieu à des poursuites pénales
Types d'enquête
Enquête préliminaire
Menée par la police ou la gendarmerie sous la direction du Procureur. Peut inclure :
- Auditions de témoins
- Expertises médicales et psychologiques
- Saisies de preuves (téléphones, ordinateurs)
- Confrontations (rare pour les mineurs)
Instruction judiciaire
Si l'affaire est complexe, elle peut être confiée à un juge d'instruction qui dispose de pouvoirs étendus :
- Mise en examen de la personne suspectée
- Placement en détention provisoire
- Ordonnance de contrôle judiciaire (interdiction de contact)
- Expertises complémentaires
3. Les expertises médico-psychologiques
Expertise médico-légale
Réalisée le plus tôt possible après les faits pour :
- Constater les éventuelles lésions physiques
- Prélever des traces biologiques (sperme, ADN)
- Évaluer l'ITT (Incapacité Totale de Travail) qui détermine la qualification pénale
Bon à savoir : L'absence de traces physiques ne signifie pas que les faits n'ont pas eu lieu. La plupart des violences sexuelles ne laissent pas de traces médicales, surtout si elles sont découvertes tardivement.
Expertise psychologique de l'enfant
Elle vise à :
- Évaluer la crédibilité du témoignage de l'enfant
- Mesurer le traumatisme psychologique
- Identifier les séquelles (stress post-traumatique, anxiété, dépression)
- Recommander un suivi thérapeutique
⚠️ Controverse : l'expertise de crédibilité
L'expertise psychologique visant à évaluer la "crédibilité" de l'enfant est critiquée par de nombreuses associations. Les experts ne devraient pas déterminer si l'enfant dit la vérité (rôle du juge), mais uniquement évaluer son état psychologique.
Expertise psychiatrique de l'agresseur présumé
Elle évalue :
- La responsabilité pénale (discernement au moment des faits)
- La dangerosité
- L'accessibilité à une peine (capacité à comprendre le jugement)
4. Le rôle du juge des enfants (volet civil)
Mesures de protection parallèles
En parallèle de la procédure pénale, le juge des enfants peut intervenir pour protéger l'enfant :
Placement d'urgence
Si l'enfant est en danger dans sa famille, il peut être placé chez un tiers de confiance ou en foyer
Retrait de l'autorité parentale
Si un parent est l'agresseur ou complice par inaction
Mesures éducatives
AEMO (Action Éducative en Milieu Ouvert) pour accompagner la famille
5. L'audience pénale : le procès
Délai moyen : 2 à 4 ans après les faits
Le temps entre les faits et l'audience peut varier énormément selon la complexité du dossier et l'engorgement des tribunaux
Où se déroule le procès ?
Tribunal correctionnel
Pour les délits (agressions sexuelles sans pénétration)
- Juge professionnel
- Audience publique (sauf huis clos si demandé)
- Peines jusqu'à 10 ans d'emprisonnement
Cour d'assises
Pour les crimes (viols)
- 3 juges professionnels + 6 jurés citoyens
- Audience publique (huis clos possible)
- Peines jusqu'à 20 ans de réclusion (30 ans si circonstances aggravantes)
Droits de l'enfant victime à l'audience
- Assistance d'un avocat : gratuit via l'aide juridictionnelle
- Constitution de partie civile : pour demander réparation du préjudice
- Éviter la confrontation : possibilité de témoigner par vidéo ou derrière un paravent
- Accompagnement : présence d'un administrateur ad hoc ou d'un psychologue
- Huis clos : le tribunal peut décider d'interdire l'accès du public (sauf presse)
6. Le verdict et les peines
Statistiques des condamnations (2023-2024)
Parmi les affaires jugées, 85% aboutissent à une condamnation
La peine moyenne prononcée est de 7 ans de prison
40% des peines incluent du sursis (partie non exécutée en prison)
Peines complémentaires
- Suivi socio-judiciaire : obligation de soins, contrôle par un juge d'application des peines
- Interdiction d'exercer : interdiction de travailler au contact de mineurs
- Inscription au FIJAIS : Fichier Judiciaire des Auteurs d'Infractions Sexuelles ou Violentes
- Obligation d'indemnisation : réparation du préjudice de la victime
7. Les recours et voies d'appel
En cas de classement sans suite
Plainte avec constitution de partie civile
Permet de saisir directement un juge d'instruction. Attention : nécessite une consignation (somme d'argent déposée au greffe, pouvant aller de 1000 à 3000 €) qui peut être prise en charge par l'aide juridictionnelle.
En cas d'acquittement ou de peine jugée trop clémente
- Appel : dans les 10 jours suivant le jugement
- Cassation : si erreur de droit (ne rejuge pas les faits)
8. L'indemnisation de la victime
Commission d'Indemnisation des Victimes d'Infractions (CIVI)
Si l'agresseur ne peut pas payer (insolvable, introuvable), l'État peut indemniser la victime via la CIVI :
- Délai : 3 ans après les faits (ou après la majorité pour les mineurs)
- Montant : jusqu'à plusieurs dizaines de milliers d'euros selon le préjudice
- Procédure : dossier à constituer avec avocat (aide juridictionnelle possible)
9. Délais et prescription
📅 Prescription : délai pour déposer plainte
Depuis la loi du 21 avril 2021 :
- Pour les crimes (viol) : 30 ans à compter de la majorité de la victime (soit jusqu'à 48 ans)
- Pour les délits (agressions sexuelles) : 20 ans à compter de la majorité (soit jusqu'à 38 ans)
Avant cette loi, la prescription était de 20 ans pour les crimes et 10 ans pour les délits, ce qui empêchait de nombreuses victimes de porter plainte à l'âge adulte.
10. Points de vigilance et recommandations
Le syndrome d'accommodation
L'enfant peut se rétracter sous la pression familiale ou par peur. Cette rétractation ne signifie pas que les faits n'ont pas eu lieu. Les juges en tiennent compte.
Éviter les multi-auditions
Plus l'enfant est interrogé, plus son témoignage peut être altéré. L'enregistrement vidéo permet d'éviter de répéter les auditions.
Protection de l'enfant avant tout
La procédure pénale peut prendre des années. Il est essentiel que l'enfant bénéficie d'un suivi psychologique dès le début, indépendamment de l'issue judiciaire.
Ressources et contacts utiles
119 - Allô Enfance en danger
Numéro gratuit, anonyme, 24h/24
France Victimes
116 006 - Aide et accompagnement juridique gratuit
Administrateur ad hoc
Représente l'enfant en cas de conflit d'intérêt avec les parents
Aide juridictionnelle
Prise en charge des frais d'avocat selon les ressources
Données mises à jour le 14 décembre 2025 — Sources : Ministère de la Justice (statistiques 2023-2024), CIIVISE, Code pénal et Code de procédure pénale.
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